Tchad: Un dictateur peut-il en juger un autre ? Idriss Deby visé!
Sénégal - Remise de Hissène Habré au Tchad - Un dictateur peut-il en juger un autre ? Si le Sénégal avait tenu parole, Hissène Habré, ancien président
tchadien, aurait passé la nuit d'aujourd'hui dans son pays qu'il a fui, il y a plus de 20 ans. Les autorités sénégalaises auraient alors mis à exécution leurs menaces proférées depuis décembre
2010 de se débarrasser du dossier Habré en renvoyant l'ex-dictateur chez lui. Aux dernières nouvelles, tout porte à croire que la vague de protestations a refréné les ardeurs du gouvernement
sénégalais. Hissène Habré peut souffler. Mais pour combien de temps ? Le 17e sommet des chefs d'Etat de l'Union africaine (UA), qui a enjoint au régime de Dakar de juger le prédécesseur d'Idriss
Déby ou de l'extrader vers un autre pays prêt à l'accueillir et à le juger, n'a d'ailleurs pas, dans les conclusions de ses travaux, omis la probabilité d'un transfert de l'ex-chef d'Etat au
Tchad. Seulement, les têtes couronnées réunies à Malabo ont posé des préalables à ce retour au bercail du prisonnier encombrant.
En plus de l'annulation de la condamnation à mort prononcée par contumace contre celui-ci par la Justice de son pays, le Sommet de l'UA avait exigé du gouvernement
tchadien des garanties d'un procès équitable et des gages sur la sécurité de l'accusé. Les jalons de ce jugement impartial devraient être en outre posés sur les solides fondations d'une Cour
africaine à laquelle ne devra siéger aucun juge tchadien. Certes, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a obtempéré à l'ordre de l'UA en livrant celui qui était devenu son concitoyen, à son
pays d'origine. Mais force est de constater que dans le cas d'espèce, on ne peut parler ni d'extradition ni de respect strict de la recommandation de l'institution panafricaine. Car, non
seulement le pays de la Téranga n'a pas envoyé l'ancien chef de l'Etat tchadien dans un pays étranger comme le veut le principe de l'extradition, mais aussi il l'a congédié de façon expéditive. A
telle enseigne que l'on se demande si le gouvernement de Gorgui a pu en si peu de temps, remplir les conditions posées par le récent sommet africain.
Ce désengagement du pays de Léopold Sédar Senghor, qui confirme son incapacité ou son manque de volonté de juger son ex-hôte, aurait-il pour but de se rapprocher
des décisions communes de l'UA dont il ne partage plus certaines idées depuis un certain temps ? Dans ce cas, autant dire que le président Wade a encore fort à faire pour convaincre ses pairs
dont il aura sans doute besoin de l'aide, au cas où la tension que son pays vit en interne, venait à s'exacerber. Etant donné son caractère précipité, le choix de ramener un Tchadien au Tchad
pour y être jugé par un régime hostile à ce dernier, bien que permettant d'exaucer un des và "ux chers à l'Union, à savoir toujours juger les Africains en Afrique, ne manque tout de même pas
d'étonner.
En effet, la décision de remettre l'affaire entre les mains des autorités tchadiennes, qui n'attendaient que cela, ressemble fort à un complot ourdi par le
successeur de Habré. Idriss Déby se serait ainsi saisi de l'occasion que constituent l'ultimatum de l'UA et la situation tendue au Sénégal, pour obtenir du gouvernement sénégalais l'expulsion de
celui qu'il a renversé mais dont il a quand même été le chef d'état-major. Et à ce titre, l'actuel homme fort de N'Djamena n'a pas intérêt à ce qu'un tribunal libre et impartial se saisisse du
dossier sur les crimes d'un régime dans lequel il a occupé un poste-clé et stratégique. Le régime tchadien n'attend-il pas l'arrivée de Hissène Habré pour lui faire purger sa condamnation par
contumace ? La crainte des avocats de Habré s'en trouve donc bien fondée et l'est d'autant plus que, sous ce même régime, leur client a déjà écopé de la peine capitale dont l'annulation exigée
par la CEDEAO n'a pas encore été prononcée.
Le pouvoir du Tchad a donc déjà fourni la preuve par quatre qu'un dictateur ne saurait accorder à un autre dictateur, sous les ordres de qui il a commandé les
exécutions sommaires et massives, un procès équitable. Il ne serait donc pas étonnant qu'un nouveau jugement ne soit une mascarade. Que l'on ne se trompe guère à espérer que les magistrats
tchadiens disent le droit, car cela reviendrait à rouvrir une enquête crédible et à entendre toutes les victimes prêtes à témoigner. Les chemins de cette nouvelle information judiciaire
pourraient conduire tout droit vers le régime actuel en commençant par le président lui-même qui ne serait pas si fou pour se faire hara kiri. La remontée aux complices de Hissène Habré butera
donc à coup sûr sur une comédie judiciaire qui consisterait à confier le dossier à des juges acquis dont le rôle se limiterait à prononcer des sentences dictées contre des coupables désignés
d'office. Toute chose très dommageable pour l'image de l'Afrique en général et celle de l'UA en particulier. Car celle-ci a encore brillé par sa lenteur et son manque d'intransigeance au moment
où le Sénégal présentait les signes d'une absence manifeste de volonté de vider le contentieux tchadien. Le président Wade qui n'en finit pas de donner à l'Union du fil à retordre, vient de lui
créer une autre situation embarrassante en la prenant au dépourvu et par surprise. Une précipitation sans doute dictée par la situation nationale difficile à laquelle fait face Wade, et la
désapprobation par l'UA du soutien de Gorgui aux rebelles libyens. En tout état de cause, il appartient à l'UA de savoir rebondir en réagissant vite, officieusement ou officiellement, pour
arrêter ce début de parodie que sa passivité et sa lenteur ont contribué à créer.
Le Pays/11/07/2011