Situation alimentaire inquiétante au Tchad avec risque d'aggravation
Afrique de l'Ouest - Selon les dernières évaluations sur l'état des cultures, des millions de personnes sont menacées d'insécurité alimentaire dans certaines
régions du Sahel à cause des précipitations irrégulières, des prix élevés du riz et du blé importés, ainsi que du contexte général de malnutrition et d'insécurité alimentaire chroniques. « Il est
évident que nous aurons une année difficile », a dit Patricia Hoorelbeke, représentante de l'organisation non gouvernementale (ONG) Action Contre la Faim (ACF) pour l'Afrique de l'Ouest, ajoutant
que l'ONG envisage d'élargir ses programmes alimentaires et nutritionnels dans la région.
Production alimentaire
La production alimentaire devrait être plus faible qu'habituellement dans certaines régions de l'ouest du Niger, ainsi que dans la zone sahélienne du Tchad, le sud
de la Mauritanie, l'ouest du Mali, l'est du Burkina Faso et le nord du Sénégal et du Nigeria. Ce sont les conclusions qui ressortent d'un rapport du Programme alimentaire mondial (PAM) et de
l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), ainsi que d'une autre évaluation réalisée par le Réseau des systèmes d'alerte précoce contre la famine (FEWS NET) de
l'Agence des États-Unis pour le développement international (USAID).
Les régions de Tahoua et de Tillabéri, qui se trouvent respectivement dans le centre et le nord-ouest du Niger, devraient subir une diminution importante de leur
production, selon FEWS NET.
Dans la plupart des régions mentionnées, les pluies ont commencé trop tard ou trop tôt ou ont été irrégulières.
D'après FEWS NET, la production céréalière de la région devrait atteindre 43 à 52 millions de tonnes, ce qui correspond plus ou moins à la moyenne de 2009. Des
chiffres plus précis seront disponibles après la fin de la récolte, à la mi-novembre.
Éleveurs
Si les éleveurs devraient mieux s'en sortir cette année - l'an dernier, la région du Sahel a été durement touchée par la sécheresse -, les pluies sont cependant
arrivées en retard dans certaines zones agropastorales. Selon le rapport PAM/FAO, l'état des pâturages pourrait en être affecté.
« Nous sommes préoccupés par le fait que ces précipitations irrégulières ont eu lieu dans des régions très vulnérables où la résilience des habitants est déjà
fortement ébranlée », a dit Jean-Martin Bauer, spécialiste des moyens de subsistance auprès du PAM. De nombreux ménages sahéliens vivent dans un état d'insécurité alimentaire chronique, a-t-il
ajouté. « Ils n'ont pas accès à la terre, ont perdu du bétail et ne comptent pas d'homme physiquement apte à trouver un travail à la ville. Ils sont dès lors particulièrement affectés par une
diminution de la production ».
Selon une étude réalisée par le gouvernement et les ONG en avril 2011 dans 14 départements agropastoraux du Niger, les éleveurs qui avaient des petits troupeaux ont
perdu en moyenne 90 pour cent de leur bétail lors de la sécheresse de 2009-2010, contre 25 pour cent pour ceux qui possédaient de grands troupeaux. Ceux qui ont perdu la majeure partie de leurs
biens ont déjà réduit la quantité et la qualité de la nourriture qu'ils consomment.
Le gouvernement du Niger et ses partenaires étudient actuellement la situation de l'insécurité alimentaire. Nous en saurons plus d'ici peu, a dit M. Bauer, ajoutant
qu'il est clair que le gouvernement devra, à court terme, procéder à des distributions d'urgence de vivres et accorder des subventions alimentaires.
Nutrition
Selon les chiffres de la Banque mondiale pour 2009, certaines régions du Sahel affichent chaque année des taux de malnutrition aigue globale qui dépassent le seuil
d'urgence ; un tiers de la population du Tchad souffre de sous-alimentation chronique, quelle que soit la taille des récoltes ou la quantité de précipitations ; et plus de 50 pour cent de la
population du Niger vit dans une situation d'insécurité alimentaire. On parle même d'insécurité alimentaire extrême pour 22 pour cent des Nigériens.
Au cours des cinq dernières années, le taux de malnutrition aigue global dans certaines régions de la zone sahélienne du Tchad oscillait, en moyenne, entre 15 et 20
pour cent. Selon Mme Hoorelbeke, d'ACF, il pourrait, cette année, atteindre 25 pour cent.
De retour de Libye
Selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), le retour de Libye de migrants du Niger et du Tchad, qui envoyaient auparavant de l'argent à leur
famille pour compenser la faiblesse des récoltes, est venu aggraver encore l'insécurité alimentaire de certaines familles. « Ces retours ont exacerbé la faim et la pauvreté extrême qui affectent
plus de la moitié des 2,5 millions de Nigériens menacés d'insécurité alimentaire cette année », a indiqué l'organisation.
Si l'attention de la communauté internationale et l'implication du gouvernement ont été relativement élevées au Niger par rapport à la sécheresse dévastatrice de
2005, Oumarou Lalo Keita, conseiller principal en communication du Premier ministre, a dit que les organisations internationales avaient été lentes à réagir aux appels du gouvernement en faveur
d'un accroissement de l'aide à la suite du retour de Libye de quelque 90 000 migrants au cours des derniers mois. « La situation est fort préoccupante », a-t-il dit. « Le pays ne dispose pas de
suffisamment de réserves alimentaires d'urgence à cause de la sécheresse de 2009-2010. Chaque année, nous sommes confrontés à de nouvelles difficultés ; or, il y a toujours un écart entre les
besoins et l'aide que nous recevons », a-t-il ajouté.
Si les gouvernements et les organisations d'aide humanitaire d'Afrique de l'Ouest ont généralement l'habitude de répondre à l'insécurité alimentaire, la capacité et
le niveau de préparation demeurent faibles dans certaines régions.
Selon Mme Hoorelbeke, d'ACF, une partie du Sahel tchadien et de l'est du Burkina Faso ne reçoivent pas autant d'attention de la part de la communauté
internationale. « Le Sahel tchadien est à peine couvert : il n'y a pas suffisamment d'organisations humanitaires là-bas... Et s'il y a une situation dont on entend très peu parler, c'est celle
qui prévaut dans l'est du Burkina Faso, où l'on risque de rencontrer un réel problème cette année », a-t-elle dit à IRIN.
Même si les sommes d'argent disponibles étaient plus importantes, plusieurs gouvernements sahéliens n'auraient pas la capacité de les absorber. C'est ce qu'indique
un rapport publié récemment par le Groupe de travail sur le Sahel et intitulé Échapper au cycle de la faim - Les chemins de la résilience au Sahel.
D'après des analystes de la sécurité alimentaire, certains pays du Sahel, comme le Mali, ont pu constituer des stocks régulateurs d'urgence acceptables grâce à la
récolte de 2010. Selon le rapport du Groupe de travail sur le Sahel et comme le prévoit la politique agricole de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), il est
nécessaire de développer des stocks supplémentaires pour assurer la sécurité alimentaire de l'ensemble de la région.
Certains gouvernements, comme celui du Sénégal, tentent de réduire la dépendance de leur pays aux marchés internationaux du riz en encourageant l'autosuffisance.
Or, l'accroissement de la production agricole n'est qu'une des nombreuses interventions nécessaires pour améliorer la sécurité alimentaire. Il est tout aussi important d'intervenir pour faciliter
l'accès à la nourriture, notamment pour ceux qui ne travaillent pas dans le domaine de l'agriculture : les plus démunis, les éleveurs, les citadins, etc.
Importations coûteuses
Environ 40 pour cent du riz consommé en Afrique de l'Ouest est importé, selon M. Bauer, du PAM. Récemment, le gouvernement thaïlandais a décidé d'augmenter le prix
minimum garanti aux agriculteurs. L'adoption de cette politique a créé des tensions sur le marché international du riz. Entre septembre 2010 et septembre 2011, le prix d'une tonne de riz thaï de
qualité supérieure - une référence sur le marché alimentaire - est passé de 380 à 495 dollars. Selon les experts, les prix devraient continuer d'augmenter à cause des terribles inondations qui
frappent actuellement la Thaïlande.
Parmi les pays d'Afrique de l'Ouest les plus susceptibles d'être affectés, on peut notamment citer le Sénégal, la Guinée, le Libéria, la Sierra Leone, la
Guinée-Bissau et d'autres pays côtiers.
Les prix internationaux du blé ont également augmenté depuis juin 2011 à cause des mauvaises perspectives de récoltes aux États-Unis. Selon le Suivi mondial des
prix alimentaires de septembre de la FAO, le prix du blé américain a augmenté de 24 pour cent entre août 2010 et août 2011.
Le blé importé représente les deux tiers de la consommation de céréales de la Mauritanie. Dans la capitale, Nouakchott, les prix ont augmenté de 50 pour cent depuis
la même époque l'an dernier. Ils ont également atteint des records à Ouadane, une ville du désert située dans le centre-nord du pays. Dans le sud du pays, un ménage sur cinq souffrait déjà
d'insécurité alimentaire avant l'augmentation des prix du blé, selon la Commission pour la sécurité alimentaire et les partenaires humanitaires, et 8 pour cent des ménages avaient déjà réduit
leur consommation de nourriture.
D'après les analystes des marchés, les marchés régionaux doivent également faire l'objet d'une surveillance étroite. A titre d'exemple, les prix élevés du riz en
Guinée cette année ont poussé de nombreux producteurs de riz du Libéria et de la Sierra Leone à y exporter leur production, provoquant du même coup des déficits céréaliers importants au Libéria
et une augmentation de prix de 38 pour cent depuis 2010 dans les zones urbaines.
Le gouvernement nigérien met tout en oeuvre pour s'assurer que la majeure partie des récoltes demeure à l'intérieur du pays. Il cherche ainsi à éviter les problèmes
survenus en 2005 lorsque la devise nigériane (le naira) s'est appréciée par rapport au franc CFA et que le Niger et le Tchad ont vendu plus de céréales au Nigeria. Le naira a de nouveau progressé
face au franc CFA en septembre. Selon M. Keita, le conseiller du Premier ministre nigérien, les interventions du gouvernement pour protéger les marchés sont une « arme à double tranchant », car
elles encouragent les pays voisins à faire de même et entraînent une stagnation du marché.
Selon le Groupe de travail sur le Sahel, l'aide alimentaire et les filets de sécurité existants ne permettent pas de faire face aux flambées des prix des denrées
alimentaires expérimentées au cours des derniers mois dans la région et causées par les sécheresses ou les marchés internationaux. Il est dès lors essentiel de mettre en place un cadre
réglementaire beaucoup plus solide afin de contribuer à préserver la sécurité alimentaire face à la volatilité des marchés.
UN Integrated Regional Information Networks/01/11/2011