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Alerte Info: Les autorités tchadiennes doivent s'investir pour assurer la sécurité des populations et garantir la paix civile à tous //

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Publié par Mak

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Saleh Kebzabo

« Déby et le MPS ne veulent pas la démocratie »

Depuis les élections législatives passées, le président de l’UNDR, Saleh Kebzabo, par ailleurs porte-parole adjoint de la CPDC, est le nouveau chef de l’opposition tchadienne grâce au nombre de députés obtenus. Il se livrre en exclusivité à La Voix sur la dernière présidentielle, la disparition du général Kamougué, le rôle de la CPDC et tant d’autres questions brûlantes de l’heure. Interview !

 

Monsieur le président, le taux de participation à la dernière élection présidentielle s’élève à plus de 50%. Est-ce à dire que votre appel au boycott  n’a pas été suivi ?

Je note d’abord que les premiers chiffres qui ont été communiqués par la Céni donnaient 64% et le conseil constitutionnel les a corrigés à la baisse. Le Conseil a fait un effort louable. Je pense qu’il aurait dû faire un effort encore plus important en respectant la réalité qui est que le taux de participation tourne autour de 20%. Ça, tout le monde s’accorde à le reconnaître, que ce soit les observateurs qui sont venus, que ce soit les partenaires du Tchad qui sont aujourd’hui dans une position très inconfortable parce que ce n’est du tout ce qu’ils attendaient, ou que ce soit nous-mêmes les observateurs de la scène nationale. J’ai eu des rapports réguliers, toute la journée des autres villes de mes cellules. Je donne les exemples d’Abéché et de Biltine qui sont des zones qu’on aurait cru que le MPS contrôle. Mais en réalité  les gens  n’ont pas du tout été voter dans ces zones là. Et je pense qu’on peut commencer à tirer de leçons politiques de tout cela. C’est qu’il y a un rejet d’un système vieux de plus de 20 ans qui a perdu tous ses ressorts. Et le président Déby est complètement isolé dans sa tour d’ivoire. Il est isolé par l’exercice solitaire du pouvoir qui fait que les tenants d’un vieux pouvoir sont toujours coupés de la base, ne sont pas au courant de la réalité. Il pense que les gens sont encore avec lui alors qu’ils ont depuis longtemps rejeté, le MPS, lui-même et sa politique et qu’il faut passer à autre chose.

Pourtant, le candidat du MPS a été réélu avec plus de 80% de voix...

Là aussi, ce sont des chiffres qui ne nous impressionnent pas du tout. Tout le monde a dit dès le départ que les vrais candidats se sont retirés et que ce sont ses deux lièvres qui sont restés. Comment voulez-vous que le lièvre court plus vite que le coureur  principal. Mais ça, c’est vraiment un épisode qui ne nous engage pas du tout. On n’en tient pas du tout compte dans nos analyses parce que ça ne veut absolument rien dire.

Finalement, au regard des élections remportées par le MPS, les législatives et la présidentielle, quelle peut être la place de l’opposition tchadienne sur l’échiquier politique ?

On attendait ces élections avec beaucoup d’intérêts et d’espoir. On pensait vraiment que l’Accord du 13 août 2007 allait jouer pleinement ses effets pour qu’il y ait un début de démocratisation effective dans notre pays. Mais je crois que la déception est à la hauteur de ce que nous avons vécu aux législatives comme à la présidentielle. Heureusement, on a commencé par les législatives qui ont permis de voir quelle était l’ampleur de la fraude mise en place par le MPS. Aujourd’hui, je crois qu’il faut tirer les  leçons que le président Déby et le MPS ne veulent pas la démocratie dans notre pays parce que, s’ils la voulaient, ils auront laissé le jeu ouvert et on aura bien vu ici et là que l’opposition pouvait les affronter comme nous en avons fait la démonstration. Mais je crois qu’au niveau du pouvoir, c’est la culture de la fraude qui est encore dominante dans notre pays. Et tant que cette culture de la fraude prédominera, notre pays ne sortira pas de ce problème parce que les élections sont toujours truquées depuis 20 ans. Il n’y aura jamais de progrès tant que la démocratie n’est pas réelle et acceptée par tous.

Quel jugement portez-vous sur Me Nadji Madou et Albert Pahimi Padacké qui n’ont pas été trop ridicules à la présidentielle? Ils peuvent revendiquer une légitimité d’opposants crédible en raison de leur poids  électoral à la présidentielle...

Je ne sais pas s’ils ne se sont jamais réclamés de l’opposition. Ils se sont toujours réclamés de la majorité présidentielle. Maintenant, s’il y a un nouveau vent qui souffle et s’ils se sentent pousser des ailes d’opposants, tant mieux. Mais ce que je sais, c’est que la vraie opposition existe dans notre pays. Cette opposition va d’ailleurs de plus en plus s’affirmer car les lois vont enfin être mises en jeu. Le statut de l’opposition sera de vigueur et chacun doit déterminer son camp et en respecter les règles de fonctionnement pour qu’on ait un jeu politique plus clair et transparent. Aujourd’hui, le président Déby a bien manœuvré en utilisant la vraie opposition pour se faire créditer depuis 3 ans. Etant au bout du rouleau, il y a lieu de revenir à la loi pour déterminer la vraie opposition de celle d’infortune et de façade qui a complètement brouillé le paysage politique tchadien comme lors de la dernière présidentielle. On ne peut pas se réclamer de l’opposition et apporter son soutien à celui que nous combattons depuis des années. On ne peut pas non plus passer d’un camp à l’autre de façon allègre et sans conséquences.

Les législatives partielles vous ont confirmé dans le rôle de leader de l’opposition. Est-ce pour vous un motif de fierté ?

Il n’y a absolument aucune fierté dans cela. C’est une satisfaction partagée avec mes camarades de l’opposition pour que le jeu que nous voulons jouer le soit dans la transparence la plus totale. Comme je l’ai dit, un opposant reste un opposant. Il ne peut pas composer avec le pouvoir. De ce point, si la loi n’est pas claire, on va demander qu’elle soit plus précise. On doit pouvoir accepter dans notre pays les lois des sciences politiques les plus élémentaires qui font qu’aujourd’hui, celui qui gagne les élections a la liberté totale de gérer le pays. Celui qui n’a pas gagné doit pouvoir rester opposant avec un programme différent de celui du pouvoir. Cette pratique qui consiste à nous mener dans des gouvernements dits d’ouverture, de large ouverture, d’union ou de consensus est une notion totalement galvaudée qu’il faudrait laisser tomber. Celui qui choisit d’être opposant doit en endurer la responsabilité et se préparer à se battre dans l’opposition jusqu’à ce que son tour vienne d’exercer le pouvoir. C’est à ce jeu qu’on doit se livrer de plus en plus dans notre pays pour éviter ces cafouillages qui ont eu lieu ces dernières années et qui ont fait la honte de la démocratie tchadienne. 

Certaines personnes ont raillé votre participation aux législatives partielles à Bongor avec les anciennes cartes d’électeur. Que leur répondez-vous ?

Je dis à ces petits esprits qu’ils n’ont rien compris et à la chose politique et aux évènements qu’on a vécus ces derniers temps. Je leur apprends d’ailleurs que si les élections communales ont lieu en juillet comme prévues, nous irons avec ces cartes que nous avons condamnées. A la présidentielle, nous avons refusé ces cartes qui étaient en vente dans certains marchés de N’Djaména. Le MPS les a utilisées pour des votes multiples un peu partout dans le pays. Nous ne pouvions donc pas nous engager sur l’ensemble du territoire dans ces conditions. Il est plus facile de déployer des moyens assez précis de contrôle dans une circonscription ou deux pour surveiller les manigances du MPS.

La disparition de votre camarade Wadal Abdelkader Kamougué ne va-t-elle pas affaiblir la dynamique initiée dans le cadre du boycott de la présidentielle ?

La mort du général Kamougué est une perte pour le Tchad. C’est la disparition d’un grand combattant politique. Il a fait preuve d’un courage extraordinaire en refusant récemment d’accompagner Déby à cette élection présidentielle totalement grugée à l’avance. Il faut rendre hommage au courage du général Kamougué, qui a fait preuve d’une constante pendant ces dernières semaines alors que tout le monde pensait qu’après le départ des deux lièvres, le maillon faible était lui. Je puis même vous dire que c’était souvent lui qui nous ramenait à la raison quand il sentait en nous des points de faiblesse. C’était le plus déterminé à combattre le président Déby et à le dénoncer. Il avait de vraies ambitions pour l’opposition qui, disait-il, devait se manifester de façon claire après les élections. Son absence va se faire sentir maintenant. Mais j’espère qu’au niveau de son parti, des dispositions sont prises pour assurer la succession et que l’URD occupe réellement sa place actuelle au parlement avec ses députés et même former un groupe parlementaire. L’URD doit continuer à jouer son rôle au niveau de l’opposition pour maintenir le cap et à nous rappeler les dernières semaines du général Kamougué qui ont été d’une exemplarité sans faille.

Quel peut être l’avenir de la CPDC quand plusieurs d’entre vous ont appelé à voter pour le président Déby ? Ils réfutent également l’exclusion prononcée à leur encontre...

Le voleur crie toujours au voleur. Je comprends que ceux qu’on a exclus continuent de se réclamer de la CPDC. Pour ce qui nous concerne, nous disons que la situation est claire. Certains de nos camarades ont trahi la mémoire d’Ibni, de la CPDC, et la notion d’opposition dans un pays. On ne peut pas avoir été membre fondateur de la CPDC, avoir lutté plus de cinq ans contre la dictature, contre les potentats au pouvoir, contre toutes les impérities que nous vivons depuis vingt ans. On ne peut pas combattre la dictature et le manque de démocratie incarné par Déby et lui apporter une caution à la présidentielle. C’est criminel. Quand on opte pour quelque chose, on doit résister jusqu’au bout. C’est pour cela que je demande à ceux qui ont trahi nos idéaux d’avoir le courage de rester là où ils sont. L’heure de la refondation de la CPDC a sonné. On va tenir certainement une journée sur  l’opposition pour voir ce que nous pouvons faire ensemble dans l’avenir immédiat sans compromission avec le pouvoir.

A quelques jours du scrutin, vos militants du Lac Léré ont été traqués par les autorités. De quoi s’agissait-il au juste ?

Ce qui se passe à Léré devrait interpeller beaucoup de Tchadiens. Voilà une région où de tout temps, le MPS a été minoritaire. L’UNDR a toujours battu le MPS à plate couture, soit par les anciennes Céni qui étaient manipulées par le parti au pouvoir pour lui accorder un siège, soit par le Conseil constitutionnel qui est devenu un comité de soutien au MPS. Tout cela démontre à l’envie que notre pays refuse la démocratie. L’UNDR a bel et bien gagné à Léré avec 53% de voix. Le Conseil constitutionnel a annulé nos voix pour permettre au MPS d’avoir un siège. Les populations du Lac Léré l’ont très mal pris, car, les électeurs savent pour qui ils ont voté. Maintenant, si on peut décréter les députés comme c’est le cas, je souhaite bon vent à la député du MPS. Je ne sais pas avec quel courage elle pourrait regarder les électeurs dans les yeux. Pour revenir à votre question, les populations de Léré ont pris le courage d’organiser une marche pacifique de protestation le 8 mars. L’administration a interdit cette marche. Non content de cette interdiction, le gouverneur a envoyé des troupes à Léré pour mettre la zone à feu et à sang. Heureusement que nous avions été sages en demandant à nos camarades de surseoir à la marche. Mais elle aura lieu dans les semaines à venir. Nous avons traversé ce cap et voilà que le même gouverneur invente encore une histoire de 17.000 cartes d’électeur que l’UNDR aurait récupérées auprès des populations. J’ai mis le ministre de l’Administration du territoire au défi de me montrer une seule carte d’électeur saisie sur un militant de l’UNDR. A ce jour, je n’ai vu aucune preuve. Mais le gouverneur, toujours pressé dans ses manœuvres de déstabilisation du pays, puisque c’est de ça qu’il s’agit, a lancé des arrestations. C’est ainsi que notre camarade Kanabé Passalet a été arrêté puis libéré tandis que d’autres sont entrés dans la clandestinité après avoir été visités à domicile. Tout cela n’honore ni notre pays, ni notre démocratie. Le gouverneur n’a plus sa place dans cette région. Il doit partir. Nous allons lui déclarer la guerre et le dénoncer chaque fois qu’il va bouger jusqu’à ce qu’il quitte la région. Il nous faut un autre gouverneur plus sérieux et serein, qui n’est pas passionné et qui vérifie les faits avant d’agir.

 

Le 12 mai dernier, vous avez été convoqué par le ministre de l’Intérieur. Quel était l’objet de cette convocation ?

Le DG de l’ANS a fait de la manipulation. Il a voulu utiliser mon nom pour me disqualifier et me discréditer dans une affaire de tracts que des jeunes ont mis au point pour les diffuser dans la partie méridionale du pays. Une confrontation avec ces jeunes les a d’ailleurs confondus. Leur leader prétend m’avoir rencontré les 6 et 7 mai 2011 chez moi à N’Djaména pour récupérer de l’argent et des tracts. C’est totalement faux car je me trouvais à Bongor pour les législatives partielles. L’ANS a voulu les manipuler pour m’accuser. J’ai mis au défi le DG de l’ANS de m’apporter une quelconque preuve des contacts entre ce jeune, que je ne connais pas du tout, et moi-même. Je voudrais dire que des organes comme l’ANS sont des organes très sensibles et doivent être dirigés par des personnes expertes qui ont de l’expérience et la patience de la recherche et non par des personnes qui veulent régler des comptes à des personnes pour leur faire mal. Que ce fût quelqu’un d’autre à ma place, imaginez les dégâts ! Même avec moi, le DG de l’ANS est à son deuxième round. Il n’attendra pas longtemps pour monter une autre manigance contre moi. Mais je dis de la manière la plus sereine que je suis chef d’un parti politique qui a pignon sur rue et qui se bat depuis 20 ans pour la démocratie dans notre pays. Je ne suis pas un tracteur, je suis responsable de mes mots. Je ne peux utiliser honteusement des jeunes pour aller distribuer des tracts. J’ai des militants qui sont à la disposition du parti. S’il y a des tracts à distribuer, c’est eux qui le feront de manière claire sans se cacher. Ce n’est pas le DG de l’ANS qui peut nous impressionner de quelque nature que ce soit parce que le droit est de notre côté.

Quels sont vos rapports actuels avec le président Déby ?

Nous n’avons pour le moment pas de rapports particuliers avec le président Déby. Mais, je pense qu’il faut un peu désacraliser tout cela. Le président de la République a pour vocation de rencontrer les citoyens et en particulier ceux qui sont des élus du peuple, qui dirigent des partis politiques ou qui sont dans une opposition responsable. J’ai toujours prôné une démocratie apaisée. Et c’est ce que nous allons faire dans les semaines à venir. Nous allons, avec les autres amis de l’opposition, mettre en place des schémas pour permettre d’entretenir des relations apaisées avec le pouvoir. Nous avons 4 à 5 ans devant nous pour préparer les futures élections. On doit utiliser cette période pour que la paix sociale règne dans notre pays. Que les conditions d’une bonne démocratie refassent encore surface pour qu’on aille à des élections vraiment transparentes. Nous allons renégocier avec le pouvoir pour que la biométrie prévale aux prochaines élections. C’était l’engagement du président de la République. Nous ferons de sorte que la Céni ou le BPE prennent de mesures pour que lors des échéances électorales futures, les cartes biométriques soient mises en valeur. Nous veillerons aussi, en accord avec le garant de l’Accord du 13 août qui est le président de la République, à faire le bilan de cet accord dans la clarté et la sérénité politique qui s’imposent. Dans notre vision des choses, les rapports entre opposition et pouvoir doivent être des rapports vraiment transparents, sans aucune haine ni acrimonie. Chacun doit jouer son rôle. Quoi qu’on en pense, le président Déby est élu pour un nouveau mandat de 5 ans. C’est un fait avec lequel il faut compter. Il a 5 ans pour gérer le pays et appliquer son programme. Nous avons 5 ans pour le dénoncer et nous organiser à prouver à la population que ce que nous disons est vrai et espérer gagner les futures élections dans la transparence totale.

 

Propos recueillis par Serge Abou Ouambi

La Voix