Poéme de Michelot: "Il y a bien si longtemps"
Il y a bien si longtemps, que
Nos cases sont brûlées, nos champs dévastés,
Nos récoltes saccagées, nos arbres fruitiers déracinés
Les tombes de nos pères retournées, leurs plants de tabacs arrachés.
Bientôt nos chiens n’aboieront plus
Place aux hululements des hiboux crucifiés autour de nos cases.
Et nous ? Nous sommes là : tristes, solitaires, taciturnes
Dans le noir pourpre de nos consciences bannies.
Les travaux de forage sont achevés, bien longtemps
Le pipeline est posé, qui, déjà
Entaille les nos champs de sorgho, de légumes,
Dans leur nudité.
Les barils y sont sortis. Combien? Par millions jour
Des entrailles de nos champs,
De la profondeur de nos mémoires parjurées,
La mémoire insultée de nos ancêtres qu’on y pisse
Eux qui, plus jamais, ne reposeront en paix
Leur repos éternel !
L’or noir est vendu, des royalties touchées.
Et nous ?
Nous sommes là, dans le noir pourpre
A cracher notre biliaire dans la clameur
Des nuits brillantes de désespoir !
Oui, il y a bien si longtemps que
La moisson est finie , mais que nos greniers toujours vides.
Les jours, les mois, les années passent.
Et Nous ?
Pour nous,
Point d’espérance à l’horizon,
De sourire à nos lèvres
Pas de confort et bien-être pour nos enfants. Et,
Demain, plus nous n’ensevelirons nos morts.
Poussières rouges de latérites pour nos estomacs,
Désastres de désastres,
Le lot quotidien de notre jeunesse violée
L’échine dorsale brisée dans son innocence
Et nous ?
Nous sommes là, toujours dans le noir pourpre
A vomir le sang de nos martyrs.
Nous sommes là,
Obligés d’avaler dans le silence de nos meurtrissures
Les gémissements de nos filles et épouses
Violées sous nos vérandas,
Dans la clameur sombre de nos nuits de désespoirs
Et voici que le Roi David préside le conseil constitutionnel
De la répartition de cruelles injustices,
Avec sa fière conscience du fils des parents heureux
Tandis que Haroun se charge de l’assemblée des bourreaux !
Oracle, Oracles des peuples, Justice des Nations
Et nous ?
Nous ? Nous sommes là,
Noyés dans l’océan de détresses,
La désolation et le noir pourpre de notre fierté perdue
Sinistrement saisis, foudroyés de détresse planifiée
Au sommet, là haut
Bientôt, même nos chiens cesseront d’aboyer
et nos chats miauler
N’Y a-t-il plus de baume là-bas, à Doba ?
Moïssala range-t-il sa fierté dans le grenier de la honte ?
Les fils de braises devient-ils de charbon ?
N’y a-t-il pas un seul médecin de la conscience la bas, à Sarh ?
Moundou s’est-elle vue tondre de sa crinière ?
Les lutteurs de Fianga sont-ils domptés ?
Bongor a-t-il déposée sa crête ?
Kyabé ne se réveillera plus de son sommeil ?
Les fiers guerriers de la Tandjilé,
N’ont-ils plus la fièrté de leur cuirasse ?
Le mont Abtouyour est-il définitivement aplani
N’offrira-t-il plus de refuge à ses fils résistants ?
Sommes-nous définitivement dompté ?
Vraiment ?
Vraiment définitivement résignés ?
Et pour toujours la fierté,
Notre belle fierté définitivement abîmée ?
Point de convalescence à l’horizon pour notre peuple ?
Et voici que les yeux de nos mères forment, et
Se transforment en sources de larmes acides
Qui pleurent, nuit et jour,
Les têtes fracassées de nos jeunes tombés par
Balles, faim, maladies, désespoirs, et extrême humiliation.
N’y a-t-il plus, là-bas,
Aucun héritier, aucun élu pour
Transformer les cœurs de nos tantes éplorés
En fontaine de joie ?
Pleurons, pleurons nos pleurs, encore,
Nuits et jours, pleurons
Nos victimes en silence,
Dans le silence, le silence de nos divisions, car
Demain c’est l’investiture !
Haroun est là-bas ! Le Roi David aussi,
Dans le silence, le silence de leur conscience,
Dans le silence. Dans le silence.
En silence !
Michelot Yogogombaye