Une jeune juriste tchadienne se lance à l'assaut de la mairie du 1er arrondissement de Paris

Initiée à la politique par Dominique Strauss-Kahn, la jeune juriste d’origine tchadienne se lance à l’assaut de la mairie du 1er arrondissement de Paris.
Paris s’enfonce dans l’hiver, mais, sur le plan politique, une brise rafraîchissante balaie depuis deux mois le centre de la capitale. Jeune (29 ans), femme, noire et ancienne banlieusarde, Seybah Dagoma cumule a priori tous les handicaps pour entreprendre une carrière politique. Lors des élections municipales du mois de mars 2008, elle conduira pourtant la liste du Parti socialiste dans le 1er arrondissement de Paris. Elle est même, dans la capitale, la seule tête de liste socialiste « issue de la diversité », comme l’on le dit. Le 18 octobre,elle a été désignée par la majorité (52,2%) des militants de sa section pour tenter d’arracher à la droite cette mairie d’arrondissement, l’une des huit qu’elle dirige. Mission impossible ? Disons, très difficile. Musée du Louvre, rue de Rivoli, place Vendôme, Comédie-Française… Le quartier où résidaient autrefois les rois de France reste une enclave conservatrice. Son maire actuel, Jean-François Legaret, est un cacique de la droite parisienne, élu en 2001 avec un peu plus de 52 % des voix. Lors des législatives du mois de juin, il avait réuni sur son nom 56 % des suffrages.
Face à lui, Seybah Dagoma fait forcément figure d’outsider. Membre du PS depuis deux ans, elle était il y a encore deux mois totalement inconnue des habitants de l’arrondissement. Ses propositions reprennent mot pour mot le programme municipal de Bertrand Delanoë, le maire de Paris depuis six ans : mixité sociale, places en crèches, démocratie locale, etc. Mais la jeune femme apprend vite. Est-ce pour le démontrer ? C’est en tout cas au café des Initiés, place des Deux-Écus, à deux pas de chez elle, qu’elle a donné rendez-vous à la presse pour le lancement de sa campagne. Apparemment, la rhétorique politique n’a déjà plus de secrets pour elle. « J’y vais pour gagner, explique-t-elle. En 2001, nous avons perdu la mairie pour moins de 300 voix, alors qu’il y avait plus de 3 000 abstentionnistes. Et depuis 1999, les listes électorales ont été renouvelées à 47 %. »
Sur le marché Saint-Honoré et celui de la rue Montmartre, qu’elle arpente tous les week-ends, elle manifeste une assurance de vieux routier des joutes électorales. Mais son principal atout est sans nul doute le renouvellement qu’elle incarne. À peine désignée tête de liste, elle a été présentée ici et là comme une « Rama Yade de gauche ». La comparaison est sans doute inévitable, mais elle l’agace. « Rama Yade a été nommée par le président de la République, moi j’ai été élue par les militants, lance-t-elle en vous fixant droit dans les yeux. Je salue le fait qu’elle soit ministre, mais nous ne sommes pas du même bord. Elle est solidaire d’un gouvernement dont le patron a fait un discours scandaleux à Dakar, institué les tests ADN et mis en place le paquet fiscal. Elle est de droite, je suis de gauche. » Voilà qui est clair.
Pour le maire UMP sortant, la désignation de Seybah Dagoma répond essentiellement à des « considérations de casting ». « Je l’ai vue récemment lors d’un conseil d’arrondissement, mais je n’ai encore jamais entendu le son de sa voix », grinçait-il récemment dans le Journal du dimanche. « Aux yeux de beaucoup, Seybah reste la Black de service, déplore son ami Matthias Fekl. Mais si elle était blanche, personne ne s’étonnerait qu’elle soit à cette place avec le CV qu’elle possède ! »
Être bonne élève à Sarcelles
Quatrième d’une fratrie de cinq enfants, la jeune femme est née à Nantes de parents tchadiens arrivés en France quelques années avant sa naissance. Mais c’est dans le quartier de la Lochères, à Sarcelles, une ville de la banlieue parisienne réputée « difficile », qu’elle a grandi. Le Tchad ? Sa mère est de Laï et son père de N’Djamena, mais elle n’y a, pour sa part, jamais mis les pieds. En revanche, elle parle le cabalaye - « mal, écrivez-le bien, sinon ma mère va rigoler ! » - et comprend le sara.
École Jean-Mermoz, collège Jean-Lurçat, lycée Jean-Jacques-Rousseau… La jeune fille est bonne élève. Son bac économique et social en poche, elle entreprend des études de droit, d’abord à l’université Paris-XIII, puis à la Sorbonne, où elle obtient un DEA de droit des affaires et d’économie en 2002. Trois ans plus tard, elle complète son cursus universitaire par un master (financement de projets-financements structurés) à l’École nationale des ponts et chaussées. Depuis, « elle fait une brillante carrière d’avocate, s’enthousiasme Pierre Moscovici, député socialiste et membre fondateur d’À gauche, en Europe, un club de réflexion où Seybah Dagoma a animé plusieurs débats sur l’aide au développement. C’est une jeune femme sérieuse et méthodique, qui ne prend pas les choses à la légère. »
En 2005, elle est recrutée par le cabinet international Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP. « Je ne me considère pas comme un exemple, explique-t-elle. Mais j’ai conscience d’incarner la réussite par le mérite, dans la grande tradition républicaine. » Au mois de janvier dernier, elle met pourtant sa carrière entre parenthèses pour entreprendre une thèse sur la restructuration des dettes des entreprises. Pour la première fois depuis longtemps, elle dispose d’un peu de temps. C’est alors que des amis l’incitent à franchir le Rubicon…
A l'ombre des éléphants
Source: J.A