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Publié par Mak

Ali Mohamed Abali, sociologue

Ali Mohamed Abali, sociologue

LE DIALOGUE INCLUSIF :

UN LEURRE,

UN PIEGE POUR LES MASSES OPPRIMEES !

Pour sortir de la situation actuelle, marquée par la crise politique née du hold-up électoral perpétré par le clan de Déby et celle, sociale, conséquence des mesures prises par le gouvernement, la seule perspective que le partis politiques de l’opposition aient pu trouver est la tenue d’un dialogue inclusif : en effet, les deux principales structures qui regroupent l’ensemble de l’opposition parlementaire, en l’occurrence le FONAC et la CPDC, ont, en chœur, réclamé récemment ce type de discussion avec le pouvoir, reprenant ainsi, pour leur propre compte, une vieille antienne abondamment entonnée dans le passé par les politico-militaires .

Alors Idriss Déby Itno va-t-il rester fidèle à la ligne de conduite qui a toujours été la sienne, consistant à privilégier des ralliements individuels à son pouvoir ou finira-t-il par accepter de discuter avec les chefs de son opposition ? Seul l’avenir le dira. Pour l’heure, fort du soutien de l’impérialisme français, il semble indifférent aux sirènes de ce dialogue.

Cependant, le plus important n’est pas tant de savoir si un dialogue inclusif est possible dans les circonstances actuelles, mais plutôt à quoi servirait une telle perspective si jamais elle se  réalisait ! Est-ce que la tenue d’un tel dialogue mettrait fin à la dictature, aux violences de tout genre, mais aussi à l’exploitation, à la misère, aux maladies, dont sont victimes les masses opprimées ? Le dialogue inclusif engagerait-il le pays dans la voie royale d’un véritable changement qui prendrait en compte les aspirations des couches populaires aux libertés essentielles et à des conditions de vie dignes de notre époque ?   

            Voici les questions fondamentales que l’on est en droit de se poser face à ce débat tant réclamé entre Déby et ses opposants ! Mais, à moins que l’on ne soit un menteur fieffé, il est difficile d’y répondre de façon affirmative. Et pour cause !

En effet, si le dialogue inclusif, dont on parle tant comme une sorte de potion magique pouvant guérir le pays de tous ses maux, se tient, ce sont, essentiellement, le clan du MPS et les dirigeants de l’opposition, toutes tendances confondues, qui en seront les principaux acteurs et participants ! Ainsi, qu’on le veuille ou non, quel qu’en soit le caractère élargi, cette rencontre ne pourra pas échapper au triste sort d’être tout simplement le rendez-vous au sommet de la classe dirigeante, des mêmes politiciens qui, depuis les années 90, ont tous, d’une façon ou d’une autre, participé, à la tête de l’Etat, au processus politique qui a conduit à l’impasse actuelle.

Dans ces conditions, que pourrait-on en attendre qui ne soit déjà connu ? Quel réel changement pourrait sortir des mains de ceux-là mêmes dont la politique et les responsabilités sont à l’origine de la situation actuelle ? Aucun ! En tout cas, rien de fondamentalement différent de ce qu’ils font aujourd’hui ou ont fait dans un passé récent !

            Pour s’en convaincre, il convient d’abord de rappeler que ce type d’assises, que  certains parent de toutes les vertus possibles à cause du caractère inclusif qu’on voudrait lui donner, n’est pas quelque chose de nouveau dans le paysage politique du pays. Par le passé aussi des rencontres de ce genre ont eu lieu avec la bénédiction de l’impérialisme français. C’est, par exemple, le cas des différentes conférences de kano dans les années 80 et surtout de la conférence nationale. Mais elles ont toutes échoué : elles n’ont résolu aucun des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les masses populaires, surtout ceux de la misère, de la dictature, des guerres et autres violences.

L’échec de ces rencontres, qui étaient aussi inclusives à leur manière parce qu’elles regroupaient l’essentiel des acteurs politiques de l’époque, dont certains sont les mêmes chefs de guerre et autres charlatans d’aujourd’hui, montre que, en politique, une perspective  quelconque ne vaut pas par sa forme, son caractère, mais plutôt son contenu, c’est-à-dire les objectifs, les ambitions de ceux qui en sont les porteurs et les forces sociales sur lesquelles elle s’appuie. Par conséquent, si, comme le réclament les dirigeants du FONAC et de la CPDC, fort de son avantage sur le plan militaire, de façon magnanime, Déby acceptait enfin de négocier avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif, il n’y aurait rien à en attendre non plus qui soit de nature à initier un changement quelconque digne des aspirations populaires aux libertés élémentaires et à de meilleures conditions de vie. Sous le parapluie de l’impérialisme français, il serait, certes, possible que tous ces politiciens s’entendent autour d’un certain nombre de compromis, comme le partage du pouvoir ou une révision de la constitution satisfaisant les ambitions des uns et des autres. Certains dirigeants de l’opposition,  parlementaire ou armée, pourraient alors aller à la soupe, trouver ou retrouver des responsabilités ministérielles autour de la mangeoire gouvernementale. D’autres seraient casés ailleurs, dans les différents services de l’Etat, à l’assemblée nationale, dans l’armée ou les entreprises publiques. Déby et son opposition pourraient aussi s’accorder sur un code électoral, les conditions des élections, la composition d’une commission pour organiser celles-ci, etc…, toutes choses qui sont à mille lieues des préoccupations actuelles des couches populaires en butte à tant de difficultés pour vivre.

Par contre, sans aucun risque de se tromper, on peut, d’ores et déjà, parier que, le pouvoir qui sortirait d’un tel marchandage ne serait qu’une nouvelle dictature pour les masses opprimées. Celles-ci n’y gagneraient rien, à part, une fois de plus, des illusions suivies d’une nouvelle déception, car, Déby et son opposition défendent tous les mêmes intérêts, ceux de l’impérialisme, français notamment, et des bourgeois locaux. Ils n’ont cure des problèmes qui assaillent les masses opprimées : l’exploitation, la misère, les maladies, les violences de toutes sortes qui frappent celles-ci, conséquences logiques du fonctionnement normal du capitalisme dans les conditions particulières du pays, dont ils sont tous des fidèles serviteurs !

Ce qui s’est passé, par exemple, lors de la conférence nationale, que nos politiciens, aussi bien du pouvoir que de l’opposition, encensent tant, nous en donne une éloquente illustration !

En effet, avant la tenue de ces assises, du côté des politiciens de l’opposition qui, à quelques exceptions près, sont les mêmes que ceux d’aujourd’hui, nombreux étaient ceux qui, par démagogie ou par naïveté, avaient prétendu qu’il suffirait de la tenue de cette conférence pour que le pays s’engage dans un véritable changement. Ils avaient déclaré que, au terme des discussions, ils instaureraient la démocratie qui, selon eux, serait la condition essentielle pour jeter les bases d’un véritable développement économique. Certains d’entre eux avaient même promis de faire de la conférence nationale le cimetière où serait célébré l’enterrement de la dictature de Déby, laissant croire ainsi qu’ils imposeraient à celui-ci les changements nécessaires dont les masses opprimées avaient besoin.

Mais, dès l’ouverture de ladite conférence, ils ont vite fait de montrer leur vrai visage : alors que, conformément à leurs diverses promesses, leurs partisans rêvaient de les voir combatifs, décidés à se battre pour faire reculer le dictateur sur tous les points et lui imposer des choix politiques reflétant les aspirations profondes des masses populaires aux libertés essentielles et à de meilleures conditions de vie,  ils se sont révélés plutôt pleutres, timorés, craintifs. Au lieu d’un combat acharné, par tous les moyens, y compris la grève, la mobilisation des partis, des syndicats, des associations et de l’ensemble de la population opprimée, dans la rue, pour imposer à Déby les changements nécessaires, tout au long de la conférence, leur principal crédo était au contraire la modération au service de la recherche d’un consensus avec la dictature.

Ainsi, au grand dam de ceux qui avaient placé leurs espoirs en eux, ces gens, qui prétendaient représenter les « forces vives », se sont mués en « âmes mortes » : ils se sont agenouillés devant Déby ; ils lui ont léché les bottes ; ils lui ont pratiquement tous offert leur service pour travailler avec lui, notamment au niveau de la primature, chacun arguant qu’il avait les meilleurs atouts pour s’entendre avec lui. Mieux, quand, repoussant de façon dédaigneuse leurs offres, le dictateur a décidé d’imposer ses choix et ses hommes, toute honte bue, ils se sont non seulement pliés à sa volonté, mais, par ailleurs, ils sont entrés massivement dans son gouvernement pour y occuper des strapontins ministériels. Finalement, ils ont, de cette façon, aidé  Déby à gagner la bataille de la conférence nationale sans coup férir et, par la même occasion, lui ont offert aussi la caution politique et le label de « démocrate » dont il avait besoin afin d’abuser l’opinion et d’avoir les coudées franches pour diriger à sa guise, allant jusqu’à fouler aux pieds la constitution et autres mesures décidées par la conférence dont ils avaient dit qu’elle serait souveraine.

Le comportement des politiciens de l’opposition lors de cette conférence n’était, cependant, pas fortuit ! Leur souci d’éviter tout conflit avec le dictateur, de tout faire pour trouver un terrain d’entente avec lui, était surtout un choix politique et social : en courtisant la dictature au lieu de la combattre vraiment, ils cherchaient à plaire tant aux couches privilégiées locales qu’aux dirigeants des pays riches, de la France et des Etats-Unis notamment, aux yeux desquels ils voulaient apparaître comme des politiciens respectueux de l’ordre en vigueur, autant que le camp de la dictature. Chose que les événements ultérieurs n’ont pas d’ailleurs tardé à confirmer : la plupart des dirigeants de l’opposition politique et certaines personnalités de la société civile de l’époque ont, à un moment ou à un autre, assumé d’importantes responsabilités au sein du pouvoir et contribué ainsi à la consolidation de la dictature actuelle.

Alors, qu’est-ce qui empêcherait ces mêmes gens-là ou leurs semblables de faire la même chose aujourd’hui si le pouvoir de N’Djaména décidait de discuter avec eux dans le cadre d’un dialogue inclusif ? Rien ! Mais absolument rien ! Oui, si, dans les circonstances actuelles, un dialogue inclusif se tenait, il y aurait des chances que, fort de l’avantage qu’il a sur ses adversaires à cause du soutien indéfectible de l’impérialisme français, mais aussi à cause du fait que parmi ces rivaux il n’y a personne qui veuille lui contester réellement le pouvoir en s’appuyant sur les luttes des masses opprimées, rien ne puisse empêcher le dictateur Déby de faire comme il voudrait. Aucun accord, aucun discours vaguement généreux ne seraient suffisants pour l’obliger à respecter les aspirations populaires ! Par contre, il se servirait aisément des assises pour en tirer les principaux bénéfices politiques, pour les capitaliser pour son propre compte, en apparaissant comme l’homme incontournable, le pacificateur du pays, le restaurateur de « la démocratie », de la paix, et redorer ainsi le blason de sa dictature souillé de multiples forfaitures depuis tant d’années! Il serait largement aidé en cela par le fait que l’objectif de ses opposants n’est pas de s’attaquer aux sources profondes de la misère, de la vie chère et autres problèmes qui empoisonnent la vie des opprimés, mais de tout simplement accéder au pouvoir pour servir les intérêts des truste et des privilégiés locaux, tout en se sucrant au passage. Alors il pourrait  satisfaire les ambitions des uns et des autres, en les associant à la gestion des affaires publiques, en leur offrant des strapontins ministériels à côté de son trône, en les casant dans des postes juteux où ils boufferaient jusqu’à satiété. Comme en 1993 et après !

Mais, - et c’est l’essentiel -, quels que soient les changements que déciderait un dialogue inclusif dans la situation actuelle, ils ne seraient que formels : le pouvoir qui en sortirait serait inévitablement une nouvelle dictature. Les masses populaires n’y gagneraient rien, ni démocratie, ni amélioration de leurs conditions de vie. Pour elles, ce serait toujours l’exploitation, la misère, les maladies et, au-dessus de tout cela, la dictature !

Dans les circonstances actuelles où gronde la colère populaire, couve un profond mécontentement, qui vient de s’exprimer à travers des grèves, des manifestations, des appels à « la ville » morte, la perspective du dialogue inclusif proposée par les politiciens de l’opposition est, en réalité, un moyen savamment concocté, qui cherche à cantonner le débat politique dans les limites de l’ordre constitutionnel présent, entre le pouvoir et son opposition, dans le but d’éviter que les opprimés s’en mêlent, descendent dans la rue et imposent eux-mêmes les changements conformes à leurs profondes aspirations. C’est un leurre, surtout un piège pour les masses opprimées, dont on voudrait désamorcer la colère avant qu’elle n’explose ! Par ailleurs, laisser croire que ce serait en douceur, en négociant avec le pouvoir, qu’on pourrait accéder aux libertés essentielles et à l’amélioration des conditions de vie de la majorité pauvre du pays, c’est non seulement politiquement mensonger, parce que c’est de façon consciente qu’agissent Déby et les siens, moralement irresponsable, mais aussi criminel ! Car, c’est de cette manière-là que, d’une part, on désarme les masses opprimées et, d’autre part, on prépare les drames et les barbaries dont celles-ci sont coutumièrement les principales victimes.

La clique des politiciens et leurs comparses au pouvoir n’accepteront jamais que les aspirations fondamentales des masses laborieuses se réalisent, s’ils n’y sont pas contraints ! Ils l’ont suffisamment prouvé depuis bientôt vingt-six ans ! Ils n’ignorent pas les conditions désastreuses à tout point de vue dans lesquelles vivent les couches populaires, condamnées, pour certaines, à mourir tout simplement de manque d’eau potable ou de faim, alors que jamais la société n’a été aussi riche qu’aujourd’hui. La plupart d’entre eux viennent même des milieux populaires défavorisés si ce n’est de la paysannerie pauvre. Mais, le choix qu’ils font n’est pas s’attaquer aux causes des maux dont souffrent les masses opprimées. Bien au contraire ! Ils font consciemment un autre choix, celui de s’attaquer aux plus pauvres, celui d’être les serviteurs des plus riches, du capitalisme, ce système monstrueux, principal responsable du sous-développement qui étrangle le continent africain. Par conséquent, discuter avec eux pour chercher à les convaincre de prendre en considération les aspirations populaires et de les réaliser est aussi vain que de vouloir faire pousser du mil au plus haut sommet du Tibesti !

En revanche, la force organisée des masses populaires, la mobilisation de l’ensemble des opprimés et leurs luttes, contre la dictature, pour leur droit à la vie, pourraient conduire aux véritables changements tant attendus. Alors, une fois de plus, la seule façon efficace de réaliser les changements nécessaires qu’attendent les couches populaires est de les imposer à Déby par les luttes de tous les opprimés victimes de sa politique. Car, seule la perspective d’un mouvement d’ensemble de la classe ouvrière et des autres catégories sociales souffrant des conséquences de la crise économique pourrait, au moyen d’une mobilisation populaire, créer un nouveau rapport des forces capable de faire reculer la dictature et l’obliger à  respecter les aspirations politiques et sociales des masses laborieuses.

Les partisans du dialogue inclusif ou ceux qui prônent un changement en douceur en prenant langue avec la dictature vont certainement pousser des cris d’orfraies face à cette perspective-là. Certains prétendront que cela ne serait pas possible et, pour se donner bonne conscience, ils accuseront les masses d’avoir peur, d’être analphabètes ; ils argueront qu’elles ne seraient pas suffisamment conscientes ; d’autres diront que, face à une dictature surarmée comme celle de Déby, ce serait utopique ! Mais, dans un pays où, des décennies durant, des centaines de milliers de gens, des travailleurs, des femmes, des jeunes, s’organisent dans des partis, des syndicats, diverses associations, ou, pour certains, vont même jusqu’à prendre des armes pour chercher une issue à leur situation, leurs propos ne serviront qu’à étaler au grand jour leur fatalisme et leur impuissance. Ils démontreront surtout que ceux qui, doutant de la force et des capacités des masses populaires, proposent de discuter avec la dictature, sont soit des incapables qui prennent leur propre faiblesse pour des réalités objectives, soit des démagogues qui, craignant la volonté populaire, cherchent à fixer des limites à la révolte des opprimés bien longtemps avant qu’elle n’explose ! Car, ce que l’on sait, ce que l’histoire a permis de vérifier, c’est justement le caractère utopique des changements en douceur, par des négociations, avec nos dictateurs. Toutes les expériences du passé, toutes les tentatives dans ce sens n’ont abouti qu’à des échecs, à des impasses, qui n’ont servi qu’à renforcer les chaînes de l’exploitation, de la misère, de la dictature et autres violences dont les masses populaires sont les principales victimes. Ce qu’on sait aussi, c’est que, quelles qu’en soient les limites objectives, toutes les avancées, sociales et politiques, petites ou grandes, réalisées ces dernières années, au Tchad ou en Afrique en général, depuis les années 90 notamment, comme l’instauration du multipartisme, la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, la création des syndicats, des associations, l’éclosion d’une presse privée multiple ou les augmentations des salaires, n’ont été possibles que parce que les travailleurs et les masses opprimées ont lutté, organisé des grèves, sont descendus dans la rue ou parce que, parfois, leur colère était telle que, avant qu’elle n’explose, l’impérialisme et certains de ses valets ont compris qu’il était de leur intérêt d’anticiper et de faire ces réformes nécessaires là.

Alors oui, l’avenir se situe en dehors de tout dialogue, quel qu’il soit, avec le dictateur Déby. Il est entre les mains des travailleurs et de l’ensemble des masses opprimées, dans leur mobilisation, leurs organisations et leurs luttes ! Aussi est-ce à cela que devraient s’atteler patiemment, méthodiquement, tous ceux qui voudraient de véritables changements, tant sociaux que démocratiques !

 

                                                                         Ali Mohamed Abali Marangabi

                                                                           abali_icho@yahoo.fr