Tchad: l'Etat de droit est plus un slogan qu’une réalité (contribution)
« Escargoter », qui veut dire perdre son temps, a été élu parmi plus de 3000 propositions. Dans la catégorie junior animée par des enfants, c'est le verbe « mémériser » qui remporte la palme. Ce verbe pronominal du 1er groupe signifie « se vieillir au moyen d'habits hors d'âge », selon son créateur. Le jury a accordé un prix spécial au mot « tôtif » et son adverbe tôtivement, le contraire de tardivement.
Parmi les autres mots finalistes figuraient notamment dans la catégorie senior, "bussoter" (attendre le bus), "gremcher" (faire son grincheux, bouder) ou encore "lalaliser" (chanter "la, la, la" lorsque l'on ne se souvient plus des paroles). Dans la catégorie junior, "textoter", "scolarophobie", "shopivore" ou "flemmitude" parlent d'eux-mêmes.
L'édition 2014 de la Semaine de la langue française et de la francophonie a fait appel "à l'imagination lexicale ou syntaxique pour lutter contre les tics de langage, les expressions toutes faites et le jargon professionnel qui envahissent le quotidien et banalisent langue et pensée", ont souligné les organisateurs, dont le ministère de la Culture.
“Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable.”(John F Kennedy)
Tout compte fait, le bâillonnement de la justice ne protègera non seulement les menus libérateurs, mais tous ceux qui seront chargés de la gestion de la chose publique. Cette stratégie, bien affinée, garantira aussi une stabilité au parti et une longévité au pouvoir. Le président-fondateur-libérateur pourra ainsi régner en toute liberté. Le contrôle de la justice lui garantira l’allégeance de toutes les couches de la nation et de tous les compagnons. Il lui suffit de laisser chacun se servir à volonté et impunément sur les deniers publics. Laisser tout le monde se salir et se contenter de ficher chacun. Si tout le monde a les mains sales et sait qu’il est fiché, son allégeance au parti et au pouvoir est acquise à vie. Les orgueils et les dignités s’agenouilleront seuls devant la seule dignité du grand libérateur. Si chacun a les mains sales, personne n’osera lever la tête devant le libérateur-fondateur. Il n’y aura pas d’homme digne devant le fondateur. Nul homme et nul cadre ne sera indispensable en dehors du grand libérateur. Lorsque tout le monde aura la liberté et le loisir de violer, de voler, de détourner et de piller tranquillement, le président-fondateur régnera tranquillement et longtemps, pour les siècles des siècles. S’il disparait, on perdra et le pouvoir et sa protection. Tous les prétentieux et les envieux du trône se verront dépouiller de leur immunité et de leur impunité et persécutés par la justice qui agira aux ordres, jusqu’à ce qu’ils renouvellent leur serment d’allégeance et de fidélité au président-fondateur. Tous les grands criminels et les grands prédateurs trouveront protection absolue au sein du parti, à l’ombre du seul président-fondateur pour peu qu’ils lui garantissent leur allégeance à vie. Le parti sera le berceau de la liberté et de l’impunité, à condition de ne pas critiquer, contester ou douter de la toute-puissance du grand libérateur.
Asservir la magistrature pour atteindre au plus vite cet objectif est l’œuvre des magistrats eux-mêmes. Confiants dans leur propre génie, ces derniers acceptent de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Le plus inspiré d’entre eux est rapidement nommé garde des sceaux avec pour l’ultime mission d’implémenter cette politique de génie dont il est le porte-flambeau. Son plan est décliné en un seul point : inféoder la magistrature en l’infestant des magistrats du pouvoir. On aura ainsi dans la magistrature de Bepassa une magistrature du pouvoir investie d’une mission de milice du régime et une magistrature d’état qui jouera les apparences pour l’appétit des bailleurs de fonds, très rêveurs et regardants des valeurs et principes.
“Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice.” De Montesquieu !
Plus préoccupés par leurs jetons de présence que par cette mise en scène de nomination dont l’issue est connue d’avance, les conseillers ratifient souvent à une majorité soviétique le projet de décret qui sera signé en l’état par le chef de l’état. Les séances du conseil durent difficilement une heure. Le secret des délibérations sera « religieusement » gardé. Soit, mais avant même sa publication, tous les agents de sécurité et plantons des palais de justice du pays, mieux que les concernés eux-mêmes, connaissent déjà et divulguent aussi religieusement le contenu dudit décret.
Cet ainsi qu’à l’image de la magistrature brisée entre celle du pouvoir et celle de l’état, les postes de responsabilité sont divisés en bons postes et en mauvais postes ; en postes juteux et en postes non juteux. La carte judiciaire est séparée en bonnes juridictions et en mauvaises juridictions ; en postes de récompense, en postes de punition ou postes-garage.
Le système administratif bepassien est ainsi organisé en postes juteux, en postes à jus, en postes à déchet ou garages ». Toute une nomenclature en parfaite connexion avec la gouvernance nationale. Pour un non prétendant au jus comme Tedebay, ce poste d’inspecteur correspond exactement à son profil de spécialiste d’appui à la réforme des systèmes judiciaires acquis dans le système onusien et expérimenté lors de son passage au parquet général de Ngara. Bien au-delà, ce poste inaugure pour lui, une nouvelle étape dans sa carrière. C’est son premier poste à la chancellerie. Il pourra aisément renforcer son expérience dans l’audit des services judiciaires, pénitentiaires et administratifs. Ce travail d’inspecteur, il le faisait déjà dans le cadre de superviseur durant son passage au parquet général de Ngara, mais maintenant il pourra le faire plus spécifiquement à plein temps. Lorsqu’on a des ambitions professionnelles qui transcendent les frontières, chaque nouvelle expérience est un sérieux atout à valoriser à fond.
L’administration bepassienne n’est pas organisée et structurée dans le but de développer le pays, mais pour accompagner les dirigeants dans leur règne. Les fonctionnaires ne valent que dans cette logique. Les autorités administratives, militaires et sécuritaires ne sont pas investies pour servir le pays, mais pour sévir contre le pays. Ils n’ont pour mission que de quadriller, embrigader et surveiller les « sujets ». Les institutions ne valent que pour protéger le président de ses sujets.
Dans les régions, la mission des administrateurs et des fonctionnaires est de développer la misère : opprimer, réprimer, humilier et piller pour servir de terreau à la longévité du seul chef. Le clan du président et clients ont le droit de vie et de mort sur les ennemis vaincus. C’est l’état qui paye leurs crimes. C’est en cela que les « bons postes » ou les « bonnes localités » servent à récompenser les « bons serviteurs » et les « mauvais postes » ou les « mauvaises localités » servent à punir et à redresser les « mauvais serviteurs ».
La justice, elle, est investie du rôle de protéger les gens du pouvoir à opprimer paisiblement. Elle doit être contrôlée en vue de garantir l’impunité. Comment faire pour que les magistrats qu’on manipule aujourd’hui à masquer les crimes des tenants du pouvoir ne soient pas récupérés demain par d’autres tenants du pouvoir contre les manipulateurs d’aujourd’hui ? C’est en cela que ce monstre d’appareil judiciaire fait peur aux tenants du pouvoir.
Au départ, les gens du pouvoir avaient peur de la justice parce qu’elle fonctionnait bien…comme un pouvoir. Nul n’était ni au-dessus ni en dessous de la loi. Mais de la culture de ceux qui conquièrent le pouvoir par les armes, il ne peut y avoir deux ni trois pouvoirs dans une même république. Comme il ne saurait y avoir deux maris pour une même épouse, dans un même foyer. Ces « libérateurs » n’acceptent pas qu’il existe un corps qui se prétend pouvoir et qui prétend emprisonner un « libérateur ». Un pouvoir qui ne sert pas à échapper à la foudre de la justice n’en est pas un. Tapis partout dans les rouages, méandres et arcanes de l’état, l’obsession des « libérateurs » est d’emprisonner vaille que vaille cette administration de justice pour l’empêcher d’emprisonner les « libérateurs ».
Pour ce faire, il faut le noyauter et l’engluer. On y injecte donc massivement des individus dont la seule compétence et la seule intégrité est leur malléabilité. Le droit cesse d’être un critère de recrutement dans la magistrature. Des critères de sélection des magistrats évoluent de la compétence à la langue. Le magistrat, selon le nouveau critère, n’a pas à prouver une compétence juridique mais linguistique. Désormais, pour être magistrat à Bepassa, il faut être Koubngala et « koubngalophone » ou «koubngalophile». Peu importe le contenu de l’étude suivie et peu importe le niveau d’étude. « Koubngalophone » ne désigne pas celui qui a suivi de sérieuses études de droit en Koubngala. Les intellectuels Koubngala souffrent autant que les mbindaphones pour faire reconnaitre leur mérite. Les magistrats koubngalophones ainsi massivement recrutés ont désormais la lourde responsabilité de combattre les lois en vigueur et de protéger les gens au pouvoir et les Koubngala contre la justice, quoiqu’ils aient fait. Les autres « magistrats de l’état » pétris dans les sciences juridiques ont le choix de s’en accommoder ou s’en offusquer, mais pas de s’en rebeller. Ils ne peuvent pas s’en rebeller. C’est quand même eux qui ont accueilli et déclaré aptes ces magistrats du pouvoir dans le corps. C’est encore eux qui ont reçu leurs serments.
Tedebay mesure sérieusement la portée de la mission et de la carrière qui l’attend. Plus qu’un métier, c’est un sacerdoce. Il a choisi l’un des rares métiers dont la finalité est une valeur : la Justice. Il a choisi le seul métier du service public où on ne rend pas service, on rend Justice. A la Justice, on ne rend pas service, on rend Justice. Lorsqu’on s’engage dans le service public de la justice, on ne rend pas service. On rend justice. La justice est le seul service public où on ne rend pas service : on rend justice. Lorsqu’on s’hasarde à y rendre service, l’on ne peut s’empêcher de forcément léser une partie au profit de l’autre. Dans la justice, lorsqu’on rend service, on marche forcément sur la dignité d’un homme. On marche forcément sur une valeur humaine. Vivre cet idéal, conduire sa carrière dans cet idéal, c’est certes risquer sa vie et Tedebay le sait. Mais c’est à ce prix qu’il doit exercer ce mériter et se rétablir sa dignité confisquée : c’est de ne jamais être amené, par pur carriérisme, à marcher sur la dignité humaine. Plus qu’une vocation, ce métier est un sacerdoce. Il l’a appris à l’école de son enseignement et de son serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de les exercer en toute impartialité dans le respect de la constitution, des lois et règlements ; de garder religieusement le secret des délibérations et de me comporter en tout, comme un digne et loyal magistrat ».
Bepassa est un pays fragile, vous le savez ! L’expérience, que je me fais le devoir de partager avec vous, a démontré qu’une décision de justice peut facilement mettre le pays à feu et à sang, bien que légalement et judiciairement correcte.
L’ordre public à Bepassa revient donc à déclarer coupable l’innocent et innocent le coupable
Ce vocable de « manger » couvre de pudeur une réalité plus flagrante, « corruption ». Les « réalités » de la justice bepassienne dont parle cet ancien, sans courage, est la corruption. C’est en réalité elle, la corruption, qui est la « raison d’état » dans la magistrature bepassienne. C’est elle, la corruption qui prime sur les lois nationales. C’est elle seule qui jaugent les performances et régulent les promotions des magistrats et greffiers. A ses heures de militant des droits humains, Tedebay entendait parler de loin de la « corruption en milieu judiciaire ». Mais ici, il la rencontre de l’intérieur. La vermine est vraie et existe ! De la coalition entre magistrats ou entre magistrats et avocats ou même avec des démarcheurs sur le dos des justiciables pour « manger », la pratique de la corruption est le hobby des corporations judiciaires.
A Bepassa, la fonction de distribuer la justice et de protéger les honnêtes gens des malfaiteurs échoue malheureusement entre les mains de malins malfaiteurs d’une espèce protégée. Le service public de la justice ne semble finalement pas être un instrument de lutte contre la criminalité, mais un sanctuaire de criminalité. Les malfaiteurs de l’intérieur sont chargés, non pas de punir ceux de l’extérieur, mais de les protéger et pactiser avec eux contre leurs victimes. Ici, voler un canard ou tuer un seul homme est un crime, mais piller l’état ou décimer toute l’humanité est un héroïsme.
A Bepassa, la justice a pour mission de faire et de protéger des « héros » de la criminalité. Les palais de justice n’hébergent ni la justice ni les justes ni les juges. Telle une ruche désertée par les abeilles, elle n’abrite que des fourmis géantes. Les juges, dans ces palais de justice, ne disposent pas de justice à distribuer.
Décrété gratuit, les idéalistes de la justice se rendent vite à l’évidence que l’idéal de justice qui n’a pas de prix à leurs yeux, a un coût. Parce que la justice n’a pas de prix, elle coûte cher ! N’échappant pas à la vie chère, la justice est l’une des denrées les plus inaccessibles au pauvre. Solliciter les services d’un agent de police judiciaire, d’un greffier, d’un procureur ou d’un juge n’est pas qu’une question de justice et de droit. C’est d’abord une affaire de commerce ! Toute demande d’intervention de la police est obligatoirement payante pour le plaignant ou le dénonciateur, même s’il désiste de sa plainte ou de sa dénonciation. Le retrait et la remise de la convocation à son contradicteur sont payants. L’établissement des procès-verbaux d’enquête et le déferrement du mis en cause au parquet sont payants. Le plaignant doit payer l’établissement du mandat de dépôt de son prévenu. Celui-ci doit payer son propre interrogatoire. Il faut payer les honoraires d’avocat, mais aussi remettre à son avocat « un-petit-quelque-chose » pour « aller voir » les magistrats et les greffiers en charge du dossier.
Le plus pénible est de ne pas savoir se choisir un avocat ou de se tromper d’avocat. A mal choisir son conseil, beaucoup de justiciables se sont empoisonné la vie. On se paye trop souvent d’avocat pour agrandir sa souffrance. Le mauvais avocat, s’il n’est pas paresseux, il est forcément arnaqueur ou les deux à la fois. Le bon avocat est simplement diligent et sobre. Un avocat diligent gagne de procès à tous les coups même quand il en perd. L’image la plus désolante d’un avocat indélicat, c’est lors que c’est son client qui se voit obligé de faire diligence et lui rendre compte, comme si le client se paye un avocat pour devenir son clerc. A chaque fin d’audience, c’est le client qui court chercher son avocat pour lui annoncer le renvoi de son affaire à une date ultérieure pour absence du conseil ! A la magistrature comme à l’avocature, la préoccupation est aux « gros dossiers » ou aux « affaires juteuses ».
Dans un système où l’état de droit est beaucoup plus un slogan qu’une réalité, le métier d’avocat exige une plus grande délicatesse que celui de plaider le droit. Dans ce système du non-droit, le plaideur a la délicate mission de forger l’humeur du juge. L’humeur qui le profite ou qu’il subit. Comme son client, lui aussi doit « bien parler », au risque de s’attirer les foudres juridiques du juge. Dans ces systèmes, le plus honnête des avocats change de métier, le plus réaliste s’adapte…au risque de vendre ou de perdre son âme. On confond souvent à tort l’avocature à du militantisme. C’est un métier. Comme tout homme du métier, l’avocat et sa famille doivent vivre de son travail.
Contributrice de makaila.fr